Twitch : pour le meilleur et pour le stream
À la sortie des confinements successifs de 2020 et 2021, Twitch, plateforme leader dans la diffusion live, a vu son utilisation plus que tripler. Face à ce constat, et en voyant de nombreux streameurs et streameuses fédérer brillamment des dizaines de milliers de curieux autour de thématiques culturelles, nous avons nous aussi décidé de tenter notre chance. Après une longue préparation et nos premiers lives lancés sur la chaîne d’Instants Cult’, que retenir de ces premières expériences ?
La révolution Twitch
Alors que nombre d’entre nous étaient occupés à réaliser leur propre pain, s’initier à la broderie, ou encore se remettre au footing pour échapper à une pandémie pas terrible, il se jouait en parallèle un cataclysme médiatique silencieux. Une révolution feutrée. Un chamboulement discret. Les révolutionnaires ? Twitch. Les chamboulés ? Internet. L’origine du cataclysme ? Nous, pauvres confinés. Tout ceci est exagéré ? Peut-être un peu.
Mais reprenons : qu’est-ce que cette tornade “Twitch” ? Twitch est une plateforme de streaming de vidéos en live. Autrement dit : là-bas, la spécialité, c’est la rediffusion en direct. Si vous en avez déjà entendu parler de loin, vous aurez peut-être envie de l’associer avec l’univers du jeu vidéo. Et vous auriez raison ! La majorité des contenus que vous y trouverez sera des streameurs et streameuses se filmant en train de commenter leurs parties de jeu vidéo.
Si vous avez eu l’envie de pousser la curiosité encore plus loin, vous aurez peut-être découvert que Twitch, en réalité, ce n’est pas que ça. Dans le monde entier, la catégorie constamment la plus streamée n’est pas un jeu vidéo ultra-populaire tel que League of Legends, Minecraft ou Fortnite. Non, la catégorie la plus streamée est ce qui s’appelle le “Just Chatting” : le fait de simplement discuter en direct avec un public via un tchat. C’est la grande force de Twitch. Son interface, ses fonctionnalités et ses usages battent à plates coutures YouTube lorsqu’il s’agit d’interagir et bâtir une communauté.
Notez en revanche que, comme sur n’importe quel réseau social, la majorité des utilisateurs restent joyeusement passifs. Mais c’est aussi révélateur : même si toute la plateforme est bâtie autour de l’interaction, le simple fait d’être témoin de cette grande ambiance communautaire suffit à de nombreuses personnes pour y trouver leur compte.
Regarder un live Twitch, c’est donc prendre part à des rendez-vous réguliers, une routine réconfortante, retrouver des codes et des communautés familières. Et même – et c’est là que ça devient intéressant – profiter d’un divertissement enrichissant. D’émissions politiques aux lives artistiques, en passant par des artisans boulangers retransmettant en direct leurs corvées matinales… Twitch propose une diversité de contenu faramineuse, et laisse la porte (fenêtres et baies vitrées comprises) grandes ouvertes à la créativité.
Un chemin pavé pour la culture scientifique
Là où nous avons de la chance, c’est que la voie vers la culture scientifique et technique sur Twitch a été brillamment pavée par beaucoup de très gros streameurs français. Et sur cette catégorie, impossible de ne pas parler d’Etoiles. Avec ses 800 000 followers, il est célèbre entre autres pour regarder les rediffusions des émissions Questions Pour un Champion lors de ses “Nuits de la Culture”. Mais son travail est aussi reconnu par des institutions, comme le Centre Pompidou, le Musée d’Art Moderne de Paris, ou encore le Château de Versailles avec qui il a collaboré lors d’événements exceptionnels. Résultat : des milliers de téléspectateurs mettent un pied dans une culture qu’ils auraient pour beaucoup perçue inaccessible autrement.
Mais Etoiles n’est pas le seul. On pourrait citer Ponce, qui réalise tous les lundis la performance de jouer à un jeu de culture générale en passant plus de temps à assouvir sa curiosité pendant des heures qu’à jouer au jeu en lui-même. On peut parler de Rivenzi, qui réalise régulièrement des “Lives Histoire”. Une émission au cours de laquelle il invite des spécialistes pour discuter de nombreux sujets pointus. Pourquoi pas citer Modiie, et ses lives lectures de sciences sociales commentées et vulgarisées, réellement passionnants. Et la liste est longue ; encore plus dès que l’on se penche sur le cas des micro-streameurs qui n’ont attendu personne pour s’emparer de la plateforme.
Alors, pourquoi ne pas tenter nous aussi d’y faire vivre Instants Cult’, notre média mêlant sciences et pop culture ? Pourquoi ne pas réaliser nos Soirées Cult’ live sur cette plateforme qui a converti des dizaines de milliers d’adeptes à l’heure du confinement ?
L’épreuve du feu : Mario Philo
L’idée a donc fait son nid dans les équipes, pour se concrétiser dans le courant de l’année 2022. Mais nous ne nous sommes pas lancés au hasard, car streamer est une grosse entreprise. Elle nécessite de (très) nombreuses compétences. Alors pour y voir clair, nous avons fait appel à Enzo dit Pythz. Il nous accompagnait déjà dans la réalisation de nos Soirées Cult’ en live sur YouTube. Mais il était temps pour nous de voler de nos propres ailes. Alors quel meilleur instructeur qu’un collaborateur aguerri ?
Grâce à lui, de nombreux mystères se sont éclaircis. Des réponses ont été apportées (même à celles dont on n’avait jamais imaginé les questions). Et avec elles, une hâte : lancer notre premier live. Suite à cette première pierre, mais aussi avec l’aide de Lauriane Bissengué et Alexis Sourrouille sur l’identité graphique de la chaîne, nous nous rapprochions de plus en plus du but.
Il nous a fallu acheter (et apprivoiser) un tout nouveau matériel, allant du PC aux micros. Paramétrer la multitude d’actions possibles via notre logiciel de streaming OBS. Imaginer nos premiers concepts de live. Réfléchir à la manière de bâtir notre communauté. Apprendre les codes de la modération. Nous avons aussi buté sur nos premiers problèmes techniques. Et en particulier les problèmes liés à l’écho et l’insonorisation des salles. Mais surtout : nous nous sommes entraînés à animer un live.
C’est une des meilleures choses à faire pour se rendre compte de la performance réalisée par les streamers que l’on voit tous les jours sur Twitch. Avant de commencer à communiquer sur la chaîne, nous avons lancé des petits lives d’une à deux heures en toute discrétion. Nous nous sommes testé sur plusieurs formats. Mais celui que je recommanderais le plus chaudement de faire serait un défi en particulier, inventé par nos soins : le Mario Philo. Tout bon Mario Philo se déroule en 10 étapes :
- Préparez en amont des sujets de conversation : des plus philosophiques aux plus bateaux, des plus controversés aux plus intimes.
- Munissez-vous de vos futurs compères animateurs de live.
- Réquisitionnez quelques collègues de bureau prêts à discuter dans le tchat.
- Lancez le stream.
- Lancez une partie de Mario Kart.
- À chaque course, tirez au sort un de vos sujets de conversation précédemment préparés.
- Fixez-vous ces 3 objectifs à respecter quoiqu’il arrive :
- Finir la course en première place.
- Toujours avoir un oeil sur le tchat pour rebondir et interagir avec les spectateurs.
- Tenir une conversation intéressante et fluide. Ou, le cas échéant, trouver un moyen de détourner la conversation lorsque les sujets deviennent touchy ou que vous devenez mal à l’aise.
Et croyez-moi, c’est un challenge immense. Mais c’est aussi un moyen incroyablement concret (et fun, parce que c’est quand même Mario Kart) de comprendre les mécaniques et réflexes à développer pour animer convenablement ! Le mieux étant de réitérer l’expérience à plusieurs reprises. Et ce, en tâchant de prendre du recul sur ses faiblesses et en essayant de s’améliorer à chaque fois. C’est tout un sport !
Du pédiluve au grand bain
Depuis, nous avons animé officiellement (et sans discrétion aucune) 3 vraies Soirées Cult’. Le grand plongeon a été amorcé avec une première Soirée Cult’ mémorable sur le jeu vidéo Zelda Breath of the Wild. Avec pas moins que Météo France en partenaire ! Passée la première phase de stress intense au moment de lancer le live, nous avons eu un plaisir immense à animer cette Soirée du début à la fin. Cela en grande partie grâce à Matthieu Sorel et Steven Testelin, nos deux experts du soir.
Nous avons ensuite enchaîné avec une Soirée Cult’ radicalement différente, sur le sujet de la Servante Écarlate. Notre invitée : Françoise Coste, historienne spécialiste de la politique intérieure américaine des États-Unis. Et plus particulièrement de la droite américaine.
En plein milieu du chamboulement américain sur le droit à l’avortement, autant dire que nous avions là un très gros sujet ! Une attention particulière avait été portée sur la modération, car c’est aussi à ça qu’il faut penser sur Twitch. Avec une audience globale sur la plateforme que l’on sait assez peu sensible aux causes féministes, nous étions sur-préparés à toutes éventualités ! Au final, plus de peur de mal. Ça vaut mieux comme ça !
Enfin, pour notre dernière Soirée en date, nous avons eu le plaisir de nous entretenir avec Roland Lehoucq et Fabrice Chemla. Cette fois-ci, c’est le film Dune que nous décryptions, avec ces deux véritables personnages, rayonnants et passionnés. Ils étaient loin d’être avares en anecdotes scientifiques ! C’est d’ailleurs cette Soirée qui nous aura beaucoup inspirée pour nos futures communications. Un phénomène que l’on observe très communément dans les communications des streamers, c’est le partage de courts extraits de leur lives sous forme de TikTok, Reels Instagram ou YouTube Shorts. C’est une autre manière d’atteindre sans cesse un nouveau public. Mais aussi une belle manière de continuer à faire vivre un contenu. Affaire à suivre pour Instants Cult’ !
Tout n’est pas tout rose
Si l’aventure Twitch est véritablement exaltante, c’est aussi un parcours semé d’embûches. À ne pas emprunter avec trop de confiance. En effet, au tout début du projet, nous pensions streamer 1 à 2 fois par mois. Nous voulions créer des rendez-vous réguliers et identifiables par notre public. Notre idée était d’alterner entre Soirées Cult’ (au format plutôt lourd à préparer) et lives plus légers entre sciences et pop culture, et sans intervenant. Ça, c’était notre monde idéal.
Malheureusement, ce que nous n’avions pas anticipé était le temps conséquent de chacune des mises en place de notre “set up de stream”. Comprenez : la mise en place du matériel. Notre principal problème est que tout notre matériel devait être monté. Puis démonté à chaque séance, car nous n’avons pas d’endroit dédié contrairement aux streamers professionnels.
Concrètement, ça représente au minimum une dizaine d’appareils à brancher, à mettre en place et à configurer par live. PC, micros, lumières, caméras, consoles, cartes d’acquisition, écrans, tablettes, câbles en tous genres… Lorsque tout est branché, tout doit ensuite être réglé. Cadrage, lumières, équilibrage des micros, tentatives pour masquer l’écho des salles, réglages du logiciel de streaming… Tout prend un temps considérable lorsque l’on n’est pas professionnel du son et de l’image. Et pire : tout ce temps doit être doublé pour chaque projet.
En effet, nous ne lançons jamais un live sans avoir testé tout le matériel sur place quelques jours avant. À raison de 4 à 7 heures par mise en place + démontage de set up. Tout cela pour un rendu sonore et visuel qui ne nous convient pas encore tout à fait. Les calculs n’étaient pas bons. Nous avons donc repensé notre stratégie, pour laisser plus de place à des préparations qualitatives pour les Soirées Cult’ live.
Au-delà de ces difficultés matérielles et logicielles, il est aussi à noter que si Twitch a vu son audience se décupler prodigieusement en 2020 (et les mots sont pesés). Elle est encore perçue par beaucoup de monde comme une plateforme de niche, de geek, ou en tous cas à destination d’une certaine catégorie de la population déjà initiée. Dans les faits, suivre un live sur Twitch est tout aussi simple que regarder une vidéo sur YouTube : vous n’avez pas besoin d’avoir de compte. Il vous suffit de taper le nom d’une chaîne dans la barre de recherche pour la trouver, et en cliquant dessus vous arrivez directement au contenu vidéo.
Cependant, YouTube reste largement plus ancré dans les usages, et ce auprès d’une vaste tranche d’âge. Twitch, malgré sa place de leader incontestable dans la rediffusion live, n’a pas la réputation de YouTube. Ainsi, en choisissant la plateforme certes la plus appropriée pour notre format et nos ambitions, nous choisissons aussi un segment du public plus restreint. C’est un paramètre à garder en tête !
L’aventure continue : où le vent nous mènera-t-il ?
Malgré tout, nous ne comptons pas nous arrêter là, loin de là ! La plateforme est bien trop intéressante pour ne pas exploiter ses fonctionnalités encore un peu plus. Beaucoup de choses restent à inventer pour nous : de nouvelles formes d’interactivité, des outils, des techniques, des formats… Nous n’en sommes qu’au début.
D’ailleurs, les signaux sont très prometteurs. Bien sûr, je ne parle pas de statistiques de visionnage. En seulement 3 soirées, difficile de prétendre s’être fait une place sur la plateforme. Non, cette histoire-là se construira avec le temps.
Je parle plutôt de l’expérience des Soirées Cult’. Nous avons pu le ressentir côté animation. L’interactivité est un vrai plus pour les spectateurs comme les experts. Contrairement à nos Soirées Cult’, ils interagissent directement entre eux en continu, là où le format physique (même dans les bars) ajoute une distance. La cause vient-elle de l’espace qui délimite physiquement le public et l’expert ? Ou de l’organisation cadrée de nos Soirées qui, bien que conviviales, respectent un programme strict et prennent des allures de show ?
À ces questions, difficile d’en donner une réponse. Mais une chose est sûre, Twitch est une autre manière très rafraîchissante de construire les Soirées Cult’. La philosophie : voir où le vent nous mène ! Sans conducteur trop rigide mais avec des tas de questions préparées. Tout le principe de laisser au chat la possibilité de mener la danse est incroyablement énergisant. L’expérience des Soirées Cult’ prend tout d’un coup un autre sens. Le spectateur devient actif tout au long des interventions de nos experts, et plus seulement lors de nos phases de jeu. Pouvait-on rêver mieux ?
Pour poursuivre sur notre lancée, nos prochaines Soirées Cult’ en live sur Twitch vont tenter d’aller toujours un peu plus loin dans l’interactivité. Le 24 avril, nous aurons la chance de réaliser une Soirée Cult’ en direct de l’exposition Momies, corps préservés, corps éternels, au Museum de Toulouse. Sur le thème de la mort avec le jeu vidéo bordelais Dead Cells, les spectateurs pourront jouer avec nous tout au long du live juste en entrant des mots clés dans le chat grâce au “mode streamer”. Le 5 juillet, c’est Minecraft que nous décrypterons d’un point de vue géologique. Jeu vidéo bac à sable par excellence, les possibilités sont là aussi infinies… Et le plus dur, ce sera de faire un choix !
Si vous voulez suivre au plus près nos aventures sur Twitch, n’hésitez pas à nous y rejoindre pour ne manquer aucun de nos lives : twitch.tv/instantscult.