Panique dans la bibliothèque, l’escape game : mission conception !
Il y a quelques mois, nous vous avons relaté notre rencontre avec des bibliothécaires pour réfléchir à la conception d’un escape game imaginé pour la Fête de la science 2018. L’occasion pour Délire d’Encre et Science Animation d’associer nos compétences pour concevoir ce dispositif de médiation qui, d’ailleurs, a bien avancé ! Voilà pourquoi nous avons tant de choses à vous dire.
Un escape game clé en main pour la Fête de la science
Rappelons brièvement le contexte : chaque année, le ministère de la Recherche soutient la publication, par le syndicat national de l’Edition, groupe « Science pour tous », d’un livre pour la Fête de la science. Et cette année, vous aurez sûrement remarqué que l’on n’a de cesse de parler de fake news, d’infox et d’éveil à l’esprit critique. C’est donc en toute logique que l’ouvrage aura pour thème « les idées reçues ». Et ce n’est pas pour déplaire à l’équipe de Science Animation, dont les projets gravitent déjà dans cet univers, notamment autour des débats, du médialab, de la lutte contre les fake news, etc.
Science Animation et Délires d’encre se sont donc mobilisés pour concocter un outil de médiation destiné aux médiathèques et bibliothèques. Nous avons proposé un jeu sérieux sous la forme d’un escape game à mettre en place. Voilà un défi qui implique bien des contraintes/challenges puisque le dispositif doit :
- Pouvoir s’adapter aussi bien aux grandes médiathèques départementales qu’aux petites bibliothèques rurales.
- Être téléchargeable clé en main depuis le site de la Fête de la science.
- S’appuyer sur le matériel déjà présent dans les bibliothèques.
- Cibler un public très large présent dans un bibliothèque ou non.
Mais depuis le temps vous nous connaissez, on aime les défis. On peut compter sur les nombreux contacts “littéraires” de Délire d’encre pour le relever.
Des contraintes pour avancer
Par où commencer ? Avant de faire des plans sur la comète, il fallait la jouer pragmatique et d’abord s’intéresser aux contraintes matérielles et humaines. Un bilan que l’on a pu dresser lors d’une rencontre avec des médiathécaires et bibliothécaires. A lire l’article La genèse d’un escape game sur les idées reçues.
Le projet se veut inclusif puisqu’il s’étend sur tout le territoire, aussi bien dans un bibliothèque que dans une médiathèque et CDI. Ainsi, il nous semblait évident de réduire autant que possible l’investissement financier des structures accueillantes. Dès le début, nous savions donc que l’essentiel des supports devait être imprimable. Nous devions utiliser les ressources matérielles présentes sur place pour concevoir les énigmes et le décor bibliothèque.
Le principe d’un escape game est par ailleurs de s’évader. Nous avons donc fait face à une problématique centrale. Comment s’échapper d’un lieu ouvert ? Puisqu’il n’est pas envisageable de privatiser le lieu pour l’escape game en le fermant au public. Pour pallier ce problème, nous n’avons pas pu résister à faire une petite entorse au principe d’escape game. Les joueurs ne seront pas enfermés, mais cloisonnés dans une zone, avec un coffre à ouvrir pour terminer le jeu.
Sensibiliser aux idées reçues
N’oublions pas que les objectifs d’un escape game sont avant tout ludiques. Cependant, cet outil peut également être un levier pédagogique. Dans ce cas, l’escape game peut permettre d’éveiller la curiosité et de susciter l’intérêt autour d’un sujet ou même d’un lieu. En effet, il s’agit aussi de faire vivre une expérience originale en bibliothèque, médiathèque et CDI.
Pour concevoir le jeu sérieux à partir du livre de la Fête de la science, il fallait donc y intégrer ses contenus. Nous avons sélectionné cinq idées reçues sur les 25 issues du livre pour les intégrer au jeu.
- “Les sciences sont plutôt une affaire d’hommes”
- “La Terre est ronde”
- “L’Homme descend du singe”
- “Les vaccins ne sont pas sûrs”
- “Un jour, on pourra vivre sur mars”
Et comme vous pouvez le voir, elles n’ont pas vraiment de rapport entre elles. Par conséquent, cela ne facilitait pas la tâche pour penser le fil conducteur du jeu.
Construction de l’intrigue
Pour construire l’intrigue et intégrer les idées reçues, nous devions intégrer plusieurs éléments. D’abord une entité ennemie. Un groupe d’obscurantistes, baptisé les Obscurantes, vecteur de doute et de fausses informations dont il tire un profit économique. Puis un élément perturbateur. Une annonce totalement fausse que les Obscurantes s’apprêtent à diffuser le soir même à une heure de grande audience et à échelle mondiale. Le traquenard se base sur l’idée reçue “Un jour, on pourra vivre sur mars” avec la prédiction d’une catastrophe naturelle majeure dans les jours à venir mettant en péril de nombreuses vies humaines. L’occasion en or pour vendre des allers simples sur Mars à des prix exorbitants.
Ensuite, il nous fallait un compagnon de route. Clara, une collègue qui suit l’affaire depuis un moment a déjà amassé des preuves dans la bibliothèque.
Et pour finir, une mission ! Les joueurs doivent empêcher la diffusion de l’annonce et récupérer au plus vite les preuves qu’elle a laissées pour discréditer les Obscurantes. Ils doivent finalement sortir du lieu (une bibliothèque) avant qu’il ne soit trop tard.
Nous avions ainsi un scénario qui intégrait de manière logique plusieurs idées reçues. Il permettait notamment de véhiculer un message important auprès du public. Il faut toujours faire preuve d’esprit critique face aux infos véhiculées dans les médias.
Et pour lancer le scénario, nous avons prévu une vidéo d’introduction. Elle contribuera à l’immersion des joueurs qui découvriront l’intrigue et Clara, leur collègue en danger qui a besoin de leur aide.
Concevoir des énigmes avec du matériel restreint
La qualité d’un escape game repose entre autres sur la diversité des énigmes. C’est pour cela qu’il est important de varier les supports et les logiques employés. Codes avec des chiffres, alphabet avec des symboles, objets à manipuler, etc. Nous pensions partir avec un handicap au vu des contraintes matérielles, mais c’était sans compter sur les nombreuses références d’internet et sur nos expériences de jeu personnelles. Nous avons découvert un site internet open source dédié au partage d’informations sur le sujet par des enseignants pratiquant les jeux sérieux en classe. Il est très complet et nous a permis de découvrir les snotes, les messages secrets, les stéréogrammes et de nombreuses idées d’énigmes originales. Et puis le matériel à disposition dans un bureau, une bibliothèque ou chez soi peut aussi être source d’énigme. Un rouleau de scotch cachant un message, un taille crayon avec un indice à l’intérieur, une fenêtre avec un code à faire apparaitre avec de la buée…
D’autre part, il ne faut pas hésiter à provoquer des émotions chez les joueurs pour qu’ils se souviennent de leur expérience. Que ce soit par le biais de l’intrigue ou des énigmes. Par exemple, un indice caché sur eux depuis le début, ou un – faux – mouchoir usagé dans une poubelle qui révèle de précieuses informations.
Photos de l’escape game Panique dans la bibliothèque
Présenter les énigmes
Enfin, il existe deux manières de présenter les énigmes. Soit dans un jeu de piste linéaire où il s’agit de trouver la réponse à l’énigme n°1 pour pouvoir accéder à l’énigme n°2 qui elle-même abouti à l’énigme n°3, etc. Mais ce mode de résolution laisse peu de liberté d’action aux participants et peut leur donner l’impression de suivre une direction imposée, d’être trop guidés. Soit dans une enquête avec des énigmes imbriquées, c’est-à-dire qu’elles peuvent être résolues simultanément, ce qui ne risque pas de bloquer les joueurs si une étape est plus difficile qu’une autre. Les participants pourront également constituer plusieurs groupes afin de se répartir les tâches, sans qu’ils soient tous obligés de réfléchir à la même énigme en même temps.
Pour nous contraindre dès le début à suivre cette seconde logique et proposer aux joueurs une expérience de jeu la plus plaisante possible, nous avons envisagé l’énigme finale sous une forme découpée en 4, chacun des éléments devant être retrouvé via un fil d’énigmes.
La conclusion du jeu
Finalement, l’escape game s’utilise comme prétexte pour aborder avec les participants la thématique des idées reçues qui est discutée lors de la phase de débriefing, après le jeu. En effet, nous avons tenu à ce qu’un temps spécifique soit prévu avec les joueurs dans l’optique de les sensibiliser à l’importance de l’esprit critique et de récapituler les idées reçues glissées dans le jeu. Car il faut être honnête, la pression du temps dans un escape game empêche les participants de réellement s’imprégner du contenu.
Donner toutes les billes pour pouvoir le mettre en place
Cet escape game devra être livrée “clé en main” par des bibliothécaires, ou des médiateurs scientifiques souhaitant réaliser une action dans une bibliothèque. Nous avons donc réalisé un guide et des fiches pratiques offrant un maximum de détails et de conseils. Ils expliquent de façon détaillée le scénario, le rôle du maître du jeu, le matériel nécessaire et les conseils d’installation, le déroulé des énigmes, le suivi précis des participants durant la partie, le débriefing, les indices à donner, etc. Le tout, accompagné des supports du jeu, sera mis à disposition en téléchargement sur le site de la Fête de la science à la rentrée 2018.
Trouver le titre !
Lors d’un petit brainstorming en interne, les idées ont vite fusé… Voici rien que pour vous, en OFF, quelques titres que nous n’avons malheureusement pas pu retenir : Les carottes sont cuites, Toute vérité a ses ennemis, Un escape game à la page, Le temps passe et la vérité reste, etc.
Malgré toutes ces propositions, plus pertinentes les unes que les autres, nous avons finalement jeté notre dévolu sur “Panique dans la bibliothèque – La crédulité sera votre pire ennemie…”.
Premiers tests
Une étape incontournable lorsque l’on souhaite réaliser un escape game : la phase de test ! C’est en effet primordial de simuler le jeu pour repérer d’éventuelles erreurs et anticiper des mécanismes auxquels on ne s’attendait pas. D’autant qu’il est très difficile d’estimer le temps de parcours que l’on a imaginé. Pour cela, nous avons dans un premier temps réalisé deux tests grandeur nature. Notamment à la médiathèque de Labège, pour observer et vérifier le bon déroulement de l’escape game.
Deux équipes de 5 participants se sont prêtées au jeu, ce qui nous a permis d’observer attentivement plusieurs points importants :
- Le scénario de jeu et le discours d’introduction sont-ils bien compris par les joueurs ?
- Les énigmes sont-elles trop difficiles ou au contraire trop simples ?
- Les mécanismes de jeu sont-ils suivis correctement ?
- La taille de l’espace de jeu est-elle suffisante ?
- Les supports d’énigmes sont-ils fonctionnels ?
- L’aide proposée par le maître de jeu est-elle indispensable ?
Prendre en compte le retour d’expérience des joueurs
Grâce à ces retours, nous avons pu mettre en évidence quelques points importants à modifier. Nous optimisions ainsi la mécanique de jeu et l’immersion des joueurs.
- Réduire le nombre de consignes. Mais également, synthétiser le scénario d’accroche pour ne pas assommer les participants avec un surplus d’information.
- Séparer spatialement le discours donnant les consignes de jeux et celui présentant le scénario.
- Limiter le jeu à des groupes de 4 personnes maximum, plutôt à partir de 12 ans.
- Prévoir un espace où les joueurs peuvent se retrouver et réfléchir aux énigmes.
- A 10 minutes de la fin, commencer à donner de plus en plus d’indices aux joueurs afin de leur permettre de finir le jeu.
- Diversifier les supports de certaines énigmes : codes, puzzle, objet à manipuler, message caché, énigme mathématique, fouille…
Et nous avons également pu valider d’autres éléments clés du jeu, à savoir :
- La taille de la zone de jeu est d’environ 40 m² ;
- La mécanique de jeu est rapidement comprise par les joueurs ;
- Les participants se répartissent les tâches et coopèrent facilement ;
- Le rôle du maître de jeu est indispensable pour suivre l’avancée des joueurs tout au long du jeu. Leur venir en aide en les aiguillant en cas de blocage ;
- Le débrief final montre que les idées reçues ont bien été identifiées par les joueurs. Ils ont compris le message principal que nous souhaitions faire passer. Garder l’esprit critique !
Vous l’aurez compris, les phases de test permettent de tout remettre à plat. Elles permettent aussi d’anticiper certains mécanismes de jeu inattendus, de simplifier ou de complexifier certaines énigmes, de jauger la durée de l’escape game, etc.
Faire des tests et améliorer
Cette étape est d’autant plus importante qu’elle nous a permis de mettre en évidence une “faille” dans la mécanique de jeu. Les deux tests que nous avons mis en place ont abouti à des résultats très différents. Le premier groupe n’a pas réussi à terminer à temps, au bout de 60 minutes. Tandis que le second groupe a terminé 30 minutes plus tôt grâce à un “raccourci” que nous n’avions pas anticipé. La conclusion à ce problème est qu’il faut veiller à ce qu’une énigme ne puisse être résolue sans l’obtention de tous les indices s’y rapportant. Enfin, il ne faut pas oublier que les dernières minutes du jeu. Ce sont les plus importantes et les plus intenses. C’est à ce moment que l’adrénaline est à son comble. Les joueurs sont complètement plongés dans l’histoire. Il ne faut donc pas négliger la fin du jeu qui va conclure la mission et l’expérience des participants.
En ce qui nous concerne, nous n’allons pas nous arrêter là car d’autres séances test sont prévues prochainement. Dont des tests animés par les bibliothécaires eux-mêmes, afin de tester la prise en main du jeu et la compréhension du guide pratique.