Les bons ingrédients d’une exposition ? Retour sur le Séminaire de muséologie 2014
Le lundi 23 juin dernier, c’est avec bonne humeur (oui, oui je vous assure, même un lundi matin) que l’équipe de Science Animation s’est rendu à la première édition du « séminaire de muséologie » au Muséum d’histoire naturelle de Toulouse. Un événement co-organisé par la DRAC Midi-Pyrénées, le Muséum de Toulouse, la Cité de l’espace et Science Animation, et qui proposait comme fil rouge cette année :
« Produire des expositions, quelle est la recette ? »
Voici un retour sur le contenu de ce séminaire passionnant.
LE MATIN : Produire des expositions, un état des lieux en Midi-Pyrénées
La matinée a débuté par des retours d’expériences de plusieurs acteurs de la muséologie de la région Midi-Pyrénées.
>> Une exposition, quelles recettes ?
Et c’est Axel Héméry, directeur du Musée des Augustins, qui a ouvert le bal.
A travers l’exemple de l’exposition « Benjamin-Constant », actuellement en préparation et prévue pour octobre 2014, il est revenu sur les recettes d’une exposition :
- En premier lieu, une exposition c’est avant tout une rencontre. Une rencontre entre une œuvre et un propos, entre un propos et une période qui séduit le public, entre les œuvres et le lieu…
- Ensuite, il faut s’assurer que l’exposition parvienne à mettre en avant les collections, qu’elle sache conserver l’esprit de celles-ci.
- Il faut également s’assurer de la cohérence de cette exposition avec l’image que véhicule le lieu. Pour cela, il faut savoir jouer avec le lieu, avec son histoire…
- D’autre part, il est fondamental de proposer aux visiteurs une programmation, certes diversifiée, mais rapidement identifiable par le public : « Ah tiens, ça c’est le musée des Augustins à coup sûr ! »
- Et puis, il faut quelques œuvres phares car ce seront elles, surtout, qui feront l’exposition. Les muséographes se doivent donc de baliser un parcours avec des œuvres qui sortent du lot, afin de marquer les esprits des visiteurs.
- Le projet ne doit pas être porté uniquement par les équipes du musée. En effet, il est important que les élus s’approprient aussi le projet, de créer des partenariats avec les réseaux culturels de la ville ou d’autres acteurs du territoire, des partenariats avec différents médias… Et pourquoi pas une programmation hors musée qui pourra renforcer l’impact de l’exposition sur la population.
- Et puis une bonne exposition, c’est aussi et surtout une bonne muséographie qui saura rendre visible et accessible le fil conducteur, un titre accrocheur et percutant, un support visuel à la fois fort, simple et contrasté, facile à communiquer et à décliner et qui marque les esprits, une bonne – non même une excellente – logistique, une programmation culturelle de qualité autour de l’exposition…
- Pour finir, il ne faut pas omettre de réfléchir à l’accueil et la gestion des publics ainsi qu’à la tarification mise en place pour l’exposition.
Et normalement, après tout ça, on laisse refroidir avant de consommer une super exposition à température ambiante.
>> Exposer l’archéologie, un exercice difficile !
C’est au tour d’Evelyne Ugaglia, conservateur en chef du patrimoine et directrice du Musée Saint-Raymond et Claudine Jacquet, assistante de conservation, régisseur des œuvres et commissaire d’exposition du musée de monter sur l’estrade et de prendre la parole.
Elles sont revenues sur la difficulté de valoriser certains propos scientifiques ardus (ex : épigraphie des autels votifs pyrénéens) et sur la nécessité de transmettre au grand public l’actualité scientifique et les résultats de la recherche scientifique. Elles ont alors évoqué les techniques de muséologie à mettre en place pour rendre accessible ce type de sujets.
- Des textes courts, un parcours clair, des vitrines intégrées à l’exposition et scénographiées, des films immersifs…
- Ensuite, une réelle importance doit être donnée à la scénographie et aux ambiances visuelles et sonores dans lesquelles sont plongés les publics. En effet, l’immersion semble être un levier quasiment incontournable pour restituer et laisser place à l’imagination des publics. Il s’agit par exemple de mettre en scène le travail des archéologues, de matérialiser les parcours par de la rubalise ou des couleurs au sol afin que les visiteurs puissent faire le lien avec les chantiers de fouilles…
- D’autre part, pour une meilleure compréhension du public, il est fondamental de recontextualiser les différentes découvertes archéologiques au sein d’une histoire, d’une époque, d’une société…
- Les choix de matériaux doivent être cohérents avec le discours de l’exposition (par exemple les muséographes ont choisi du médium pour rappeler le côté « cheap » de l’archéologie).
- Et bien sûr des ateliers ludiques à destination des publics jeunes.
En bref, une exposition réalisée avec des moyens limités par une équipe efficace qui a su parler d’archéologie en aiguisant la curiosité et l’intérêt des visiteurs.
>> Une exposition au Muséum : os par os, pas à pas et sou à sou…
C’est au tour de Virginio Gaudenzi, directeur adjoint du Muséum d’histoire naturelle de Toulouse de proposer son retour d’expériences. Son parti pris : diviser sa présentation en 3 temps : “os par os”, “pas à pas” et “sou à sou”.
Os par os
- Dans un premier temps, Virginio Gaudenzi est revenu sur l’importance du travail sur les collections. Il faut travailler à partir de ces éléments, parvenir à les mettre en valeur sans pour autant tomber dans une forme de fétichisme. Bref, un travail passionnant mais difficile.
- D’autre part, il a évoqué la nécessité de prendre en compte tout le travail de préparations des objets : documentation, numérisation, restauration, naturalisation, montage ostéologique, demande de prêt…
Les équipes en charge des collections au Muséum passent beaucoup de temps à la préparation des objets, c’est pourquoi, il faut savoir les valoriser à leur juste valeur.
Pas à pas
- Malgré l’importance des objets, il ne faut pas omettre qu’ils sont avant tout au service d’un discours, d’un scénario, d’une histoire… C’est pourquoi les expositions au Muséum sont conçues par le service des expositions et non le service des collections. Il faut donc travailler ensemble en prenant en compte les compétences de chacun. Car une exposition c’est avant tout une œuvre collective, nourrie de multiples collaborations (scientifiques, créatifs, développeurs, fabricants, exploitants et spécialistes des publics…).
- De plus, concevoir une exposition nécessite plusieurs étapes incontournables : élaboration d’un programme muséographique (message/propos, supports, médias…), recherche d’une vraie cohérence entre le fond et la forme, réflexion autour d’un bon alliage entre la rigueur des contenus, l’efficacité pédagogique, la qualité des formes…
- Une exposition se construit dans une progression séquentielle : de l’idée (concept) aux mots (scénario), des esquisses au plan, des pièces écrites à la matérialité, de l’espace à l’exploitation.
Sou à sou
Virginio Gaudenzi a terminé sa présentation en abordant les valeurs marchandes qui entourent une exposition. Rentrées d’argent via les billetteries, via l’itinérance des expositions, les subventions, les partenariats, les mécénats… Chaque espace scénographié et muséographié doit être pensé financièrement afin de s’assurer que l’exposition ne soit pas « si cher » pour le visiteur.
>> Renouveler ses expositions permanentes ? Un défi à relever !
C’est ensuite Véronique Hallard, architecte-muséographe à la Cité de l’espace de Toulouse, qui s’est présentée face à l’auditorium du Muséum. Elle est revenue sur le renouvellement de 2500 m2 d’expositions permanentes de la Cité.
- Il s’agissait, dans un premier temps, de prendre en compte les contraintes : contraintes spatiales du bâtiment, ne pas tout « jeter » les expositions précédentes, nécessité de fiabiliser techniquement les éléments d’exposition… Mais la difficulté majeure des équipes était autre : il s’agissait de réussir à jongler avec le chantier qui condamnait une partie de la Cité de l’espace et l’ouverture des autres parties du bâtiment au public.
- D’autre part, il s’agissait de profiter des expériences passées, des erreurs constatées sur les précédentes expositions, des manques ou au contraire des plus, pour proposer un renouvellement qui soit au plus proche de la demande des publics. En somme, il fallait « apprendre de ses erreurs » !
- C’est pourquoi, des études « publics » ont été menées, en amont de la refonte des expositions permanentes. Les résultats révélaient un contenu trop ardu et beaucoup trop riche, des espaces trop sombres, des technologies qui ne marchaient pas toujours très bien…
- Un comité de pilotage a alors été mis en place afin de repenser, redéfinir, recréer les divers espaces. Désormais, les expositions permanentes comptent 150 éléments d’exposition, dont 30% sont issus des anciennes expositions. Un budget non négligeable a été alloué à la fiabilisation technique des éléments d’expositions. Un travail important a été fait sur la mise en valeur des collections. Les scénographes ont notamment opté pour du blanc afin de rendre les espaces plus lumineux et plus accueillants… Au final : un budget global de 5 millions donc 3,8 millions d’euros dédiés à la muséographie, 5 ans de travail acharné, 2500 m2 d’espaces renouvelés, et beaucoup, beaucoup, beaucoup de visiteurs ravis! Nous les premiers d’ailleurs ! 🙂
>> Une démarche « Living Lab » dans une exposition, c’est quoi et c’est pour quoi faire ?
Johan Langot, directeur de Science Animation, a fermé la marche des retours d’expériences de la matinée. Il était accompagné par Pierre Vincenti, service civique à Science Animation, en charge de l’évaluation de la démarche Living Lab.
- Après avoir présenté le projet « Inmédiats » qui consiste à “Développer de nouvelles formes de médiation grâce aux outils numériques”, Johan Langot a ensuite précisé le principe du Living Lab dans une exposition : “il s’agit d’une démarche de co-construction entre scientifiques/médiateurs et publics du savoir contenu dans l’exposition ou de dispositifs de médiation innovants”. Le public peut donc participer en amont, pendant ou en aval du temps de la visite de l’exposition. Et pour illustrer cela, Johan Langot est revenu sur l’exposition “Et si la plante idéale existait…”, présentée à l’Espace EDF Bazacle de Toulouse, en 2013. De nombreux dispositifs ont été conçus pour cette exposition : des dispositifs participatifs pour co-construire l’exposition avec les visiteurs (tableau à post-it pour une contribution immédiate et un appel à contributions photos visible en ligne et hors-ligne), des cartels numériques, des installations mêlant art/science et numérique pour une nouvelle approche de la médiation, une opération transmédia…
- Dans le cadre de cette exposition, Pierre Vincenti a réalisé une étude des dispositifs ainsi qu’une analyse des publics (observation des différents niveaux d’interactions public/dispositif, calcul du temps passé par dispositif, étude de la clarté des messages de l’exposition). Grâce à ces observations, il a pu démontrer que les dispositifs de l’exposition “Et si la plante idéale existait…” s’inscrivant dans une démarche Living Lab avaient remporté l’adhésion du public.
Cette première expérience a permis de soulever quelques points importants sur lesquelles les équipes doivent maintenant être vigilantes :
- La nécessité d’une signalétique importante dans les espaces Living lab explicitant le concept, le pourquoi, le comment… C’est pourquoi Science Animation a désormais élaboré une signalétique Living Lab à base de cocottes permettant au public de mieux visualiser les différents temps du Living Lab.
- L’importance de toujours allier clairement numérique et pédagogique et s’assurer de la clarté des messages transmis par les dispositifs interactifs.
- Le fort succès des dispositifs participatifs qu’il faut continuer à développer.
>> De quelques tendances et évolutions des expositions…
Après un temps d’échange entre les différents intervenants et le public, c’était au tour de Serge Chaumier, professeur et responsable du master Expo-Muséographie de l’Université d’Artois et « grand témoin » pour l’occasion. Il a d’abord proposé un état des lieux éclairé des tendances qui impactent les musées :
- Le modèle des instances muséales a longtemps été unique avec des mêmes principes, des mêmes modèles de développement… Aujourd’hui on se dirige vers un modèle beaucoup plus clivé avec des distinctions effectives entre les structures de petites, moyennes ou grandes tailles. Bref un fonctionnement à deux vitesses qui touche aussi le monde de la muséographie.
- Le paysage en mutation et en perpétuelle évolution subit une crise économique, sociale, politique, culturelle, environnementale.
- Le rapport au savoir et à la connaissance évolue, et donc les pratiques culturelles se transforment. La diversité culturelle, le métissage, la circulation des populations posent questions aux musées des territoires. Notamment le fort développement des nouvelles technologies qui impactent forcément la muséologie.
En bref, un monde des musées qui reste clivé entre deux positions : le conservateur qui pense le patrimoine comme finalité absolue et ceux qui affirment le patrimoine comme un outil au service de la construction sociale (ex : muséologie sociale brésilienne). Alors sommes-nous à un tournant ? Ère patrimoniale toujours ou post-patrimoniale désormais ?
Serge Chaumier a alors dressé le portrait de 4 grandes tendances concernant la muséologie :
1) Théâtre de parole
Une exposition c’est avant tout un espace de mise en relation : entre les publics, entre les publics et les savoirs… Et dans cet espace relationnel l’objet est alors le médiateur.
D’ailleurs, l’importance de la mise en relation entre les publics est devenue de plus en plus emblématique avec l’arrivée des réseaux sociaux. En effet, des communautés concrètes se mettent en place, et partagent des mêmes champs d’intérêt à court ou long terme grâce à internet.
Il semblerait donc qu’aujourd’hui l’expérience de mise en relation devienne plus importante que les contenus informatifs.
Jean Davallon a montré dans ces ouvrages comment l’exposition était entrée dans l’aire communicationnelle, avec un développement d’outils pour rendre les médiations plus efficaces.
Mais aujourd’hui ne passe-t-on pas de l’ère communicationnelle à l’ère relationnelle ?
La médiation n’a plus vocation à présenter des contenus mais bien plus à les rendre compréhensibles. Les expositions sont donc maintenant plus immersives, plus interactives.
En bref, l’exposition devient un théâtre de parole et non plus une simple présentation d’objets.
2) Science objective VS science subjective
En deuxième lieu, l’exposition est le lieu d’un discours, le lieu d’affirmation d’un propos. D’ailleurs, des expositions engagées ont vu le jour ces dernières années (Climax, une exposition de la cité des sciences par exemple où le public était interpellé pour qu’il puisse se positionner de lui-même, prendre parti, s’engager).
Alors les questions que nous sommes en droit de nous poser sont :
Exposer, est-ce oser ? L’exposition est-elle un lieu pertinent pour conduire une réflexion engagée ? Et finalement aborde-t-on vraiment les questions qui fâchent dans les musées ? (questions brûlantes, menaces écologiques, effets des médicaments sur l’environnement…) ? Et cette présence peu significative de sujets à controverses ne serait-elle pas liée aussi au financement des expositions ?
En bref, encore aujourd’hui, on montre généralement une science objective dans les musées.
3) Changement de paradigme
C’est un fait, le rapport du citoyen à la science est en train de se métamorphoser. On côtoie désormais une forme de pluralité du discours avec la possibilité d’accéder à diverses interprétations d’un même objet scientifique.
Cette évolution du positionnement vis-à-vis de la science se retrouve aussi dans les expositions, où la volonté principale est de faire apparaître la science comme plus modeste, plus ouverte et plus collective… Une science en perpétuel questionnement et en perpétuelle évolution dans laquelle les visiteurs, les citoyens peuvent intervenir, donner leur avis et s’impliquer. On se destine vers un nouveau modèle pour le musée avec des dispositifs participatifs, de la co-construction, des expositions régulièrement renouvelées où le visiteur est pris à parti pour contribuer, alimenter en données, interagir, enrichir…
Et par voie de conséquence, le médiateur devient un “activ’acteur” d’actions, de débats, d’échanges…
C’est dans ce sens que l’on pourrait interpréter les nouveaux lieux intermédiaires (fablab, co-working, livinglab…) qui sont des espaces remplis par des publics qui s’approprient le lieu (exemple d’EbulliScience, lieu où il y a très peu d’expos mais juste des manips très simples avec peu de médiation hormis de la médiation orale qui est là pour accompagner la mise en questionnement).
En bref, l’exposition est désormais un lieu dédié à la participation et à la co-création.
4) Renouveau de l’art par l’art
Face au succès de l’art contemporain, on peut se demander s’il n’y a pas trop de médiation dans les institutions de culture scientifique. Ne faudrait-il pas se destiner à des musées composés de formes plus simples, plus épurées ? Ne faudrait-il pas uniquement faire des propositions que les gens pourraient interpréter, s’approprier ou non ?
Aller vers de la muséologie de passage, où l’on flâne et où on l’on passe un bon moment ?
Ce qui est certain néanmoins, c’est que l’on découvre désormais des expositions esthétisantes en science, avec des rencontres et des démarches art et science de plus en plus présentes.
Mais est-ce que science et interprétation peuvent rimer ? Est-ce que le renouveau de l’art part l’art en culture scientifique ne risque pas de rejouer la dimension élitiste très longtemps reprochée dans les anciens musées ?
En bref, le musée est avant tout un lieu de confrontation.
On passe donc dorénavant de l’exposition informative à l’exposition performative avec une médiation qui évolue et change de nature et d’objectifs. Et à l’image de Museomix, les musées n’ont-ils pas vocation à devenir des espaces de création ou de co-création destinés à inventer des nouvelles formes de médiation ensemble ?
Car finalement, ce qui importe dans un musée c’est ce que l’on en fait ensemble !
Serge Chaumier en a profité pour citer le guide “bonnes pratiques” muséographiques.
L’APRES-MIDI : Produire des expositions, une affaire de professionnels
Les premières intervenantes de l’après-midi étaient Gaëlle Cap-Jedikian, chargée de projet muséographie au Muséum d’histoire naturelle de Toulouse et Cristina San Juan-Foucher, commissaire scientifique au SRA Midi-Pyrénées, Laboratoire Traces. Elles s’attelaient à répondre à la question suivante : “Comment concevoir, développer et transmettre une exposition patrimoniale destinée à un public familial ?”.
Malheureusement, et à notre grand regret, étant retenus longuement au restaurant, nous n’avons pu assister à cette première présentation. Alors si quelqu’un souhaite compléter ce billet de blog, l’espace “commentaires” n’attend plus que vous!
>> Le commissaire historien de l’art
C’était ensuite au tour d’Axel Héméry, directeur du musée des Augustins, de revenir sur le devant de la scène pour une seconde intervention dédiée au métier “commissaire historien de l’art”.
- Dans une exposition, il y a une dimension très personnelle certes, mais elle est avant tout dédiée à un lieu, à un public. Il est donc fondamental qu’elle soit issue d’un travail collaboratif, d’un travail en équipe. Et c’est là tout l’intérêt d’être à la fois commissaire d’exposition et conservateur du musée, car il reste le mieux placé pour fédérer son équipe autour d’un même projet.
- Mais revenons au point de départ d’une expo : il s’agit d’un regroupement d’œuvres accompagné d’un propos. Par exemple, « qu’est-ce que la grisaille ? » : comment faire une exposition autour du concept d’absence de couleurs ? Comment transmettre cela et comment le mettre en scène ?
- Il faut s’assurer que le concept peut intéresser le public. Lorsqu’on a cerné si c’est potentiellement le cas ou pas, on est un peu, comme l’écrivain, face à une page blanche. Tout est à construire, tout est à penser. Et c’est d’ailleurs à ce moment là qu’on prend conscience de la subjectivité d’une exposition artistique. En présence des mêmes œuvres, dix commissaires d’exposition feront dix expositions différentes. Car finalement si la muséographie est une œuvre de l’esprit, la façon de faire le parcours, de relier les œuvres… l’est aussi!
>> Muséographe, scénographe : Je/Tu/Nous produisons…
Aude Lesty, muséographe à la Cité de l’espace et Pierre-Yves Lamer, scénographe pour l’agence Présence qui sont ensuite venus présenter leur collaboration professionnelle passée sur le renouvellement de l’exposition permanente “le vaisseau Terre” de la Cité de l’espace. Il s’agissait d’une zone de 500 m2 dédiée aux applications satellites dans notre vie quotidienne.
Phase 1 :
Il s’agit du temps de la conception, du temps de la rencontre entre muséographe et scénographe où chacun apporte ses ingrédients. Les muséographes apportent donc des intentions scénographiques construites avec les partenaires scientifiques, une programmation détaillée de toute l’offre muséo qu’ils souhaitaient développer (fiches techniques, travail de pré-design, développement 3D de l’encombrement, mise en avant des éléments phares pour meilleure compréhension du public, attitudes des visiteurs dans les anciennes expos…). Les scénographes quant à eux, ont la vocation de faire vivre une expérience au visiteur ; ils proposent donc des intentions scénographiques générales, des premières esquisses spécifiques au projet “vaisseau Terre”.
Il s’agit donc d’une écriture conjointe du scénario puisque les muséographes apportent l’histoire pendant que les scénographes la mettent en scène.
Phase 2 :
C’est alors la phase de production, un moment où la communication entre les deux acteurs doit être encore plus forte. Les muséographes se chargent des contenus et partenariats scientifiques, des éléments d’exposition, du regard sur le graphisme, de l’interface avec les équipes en interne (technique, sécurité, éducation…). Les scénographes se chargent de la mise en espace et de la gestion des flux, du mobilier de l’exposition, de l’interface avec les entreprises en charge des productions ainsi qu’avec les entreprises en charge de l’exécution graphique. Par conséquent, la phase production c’est avant tout un échange constant entre les deux acteurs afin d’aplanir au maximum les zones d’ombres.
En bref une collaboration muséographe/scénographe répond à cette règle des 4C : cadrage, communication, coordination et confiance !
>> Développer des dispositifs interactifs dans une exposition
C’est à nouveau au tour de Johan Langot, directeur de Science Animation, de se présenter face à l’auditorium du Muséum. Cette fois-ci, il est venu aborder le développement de dispositifs numériques interactifs dans une exposition. Mais alors comment fait-on pour travailler avec des prestataires sur ce type d’outil ?
Tout d’abord, les muséographes, en interne, établissent un cahier des charges et passe un appel d’offre. Lorsque le prestataire est choisi, il s’agit alors de travailler en partenariat avec lui, de générer une véritable collaboration. Pour illustrer cela, Johan Langot est revenu sur plusieurs dispositifs développés en étroite collaboration avec des entreprises tels que des dispositifs réalisés avec Anagram dans le cadre du futur musée Aeroscopia ou encore du serious game Termitia conçu en partenariat avec le CRCA pour la caution scientifique et la startup iTolosa pour le développement.
Il est ensuite revenu sur le programme Inmédiats qui a vocation à développer de nouvelles formes de médiation grâce aux outils numériques. La méthodologie à SAMP est la suivante :
- Internaliser une partie des savoir-faire en créant une équipe de professionnels de la médiation et du numérique.
- Cette équipe travaille ensuite en innovation ouverte avec différentes communautés (producteurs de contenus, producteurs technos, usages numériques, acteurs de la médiation, publics tests – en particulier les 15-25 ans…).
- La démarche s’appuyant sur « l’open-source » : “je co-construit, je mets en scène, je documente, je teste, je prototype, je diffuse”.
Pour finir, Johan Langot a présenté un outil prévu pour mars 2015, le réseau social Makerscience. Il s’agira d’une plateforme en ligne avec le profil des membres, des pages “projets”, des fiches ressources… Un outil pour partager, mutualiser, échanger, se documenter… autour de projets de médiation culturelle. Et pour en savoir plus sur ce projet, c’est avec Audrey Bardon 🙂
>> Une exposition dans un site industriel : qui fait quoi ?
Ce sont Frédérik Canard, Muséographe à l’agence “La plume et le plomb” et Jean-François Escapil-Inchauspe, Responsable développement Grand Sud-Ouest – EDF Production hydroélectrique, Espace EDF Bazacle qui ont terminé la présentation des cas concrets de l’après-midi.
En 2009, le site “Espace EDF Bazacle” était fermé au public pour une durée d’un an afin de repenser et rénover l’ensemble du bâtiment. Il s’agissait donc de faire travailler les différentes équipes afin de définir les implantations dans les différentes parties de l’usine, préciser des thèmes complémentaires en accord avec le site, définir un parcours à travers le bâtiment permettant de valoriser les espaces extérieurs et intérieurs, les machines… Une des contraintes majeures étaient de permettre au public une visite de l’usine et des machines sans gêner pour autant le travail des salariés et la maintenance des machines. Et puis, il s’agissait de valoriser l’environnement historique et naturel existant aux alentours de l’Espace EDF Bazacle.
Lorsqu’ils veulent faire une exposition, les équipes d’EDF font appel à des boîtes de communication. Elles vont elles-mêmes faire appel à des agences de conception et réalisation, qui vont alors mobiliser des muséographes et scénographes. EDF a donc un seul interlocuteur mais de nombreux sous-ensembles sont mobilisés. Il faut donc parvenir à faire travailler tout le monde ensemble.
>> Pour une muséographie innovante dans les musées scientifiques
Pour clore cette journée riche en contenus et échanges, le grand témoin de l’après-midi qui s’est présenté face à l’auditorium était Christophe Dufour, Directeur du Muséum d’histoire naturelle de Neuchâtel.
Et pour dresser un premier portrait, il nous a proposé un tour de piste de quelques expositions proposées au Muséum de Neuchâtel ces dernières années (mon conseil du jour : allez vraiment y jeter un coup d’œil :)) :
2002 : Exposition “Sable : secrets et beautés d’un monde minéral”
2004 : Exposition “Mouches”
2011 : Exposition “Sacré science! Croire ou savoir…”
2013 : Exposition “Partie d’échecs en Himalaya”
2013 : Exposition “Donne la patte”
Le Muséum de Neuchâtel se distingue vraiment par ces choix d’angles particulièrement originaux. Et pour illustrer cela, Christophe Dufour cite l’exposition “Parce queue“.
Au départ, la volonté était de réaliser une exposition dans le cadre de la commémoration du 150aire de l’ouvrage de Darwin – de l’origine des espèces. Sujet classique mainte fois traité. C’est pourquoi, le Muséum de Neuchâtel a décidé de prendre “la queue” comme porte d’entrée. A la fois original, surprenant et inattendu, cet angle a vraiment permis de mettre de l’humour autour du sujet de l’évolution. Cette exposition propose donc une entrée en matière sur la queue de poisson qui sert à la propulsion, puis on aborde l’évolution de la queue chez les vertébrés, les fonctions adaptatives de la queue… Les visiteurs découvrent également la théorie du gène égoïste de Richard Dawkins énoncée par projection sur un grand spermatozoïde, un cabinet érotique pour jouer avec le double sens du terme “queue”… Christophe Dufour souhaite faire des expositions en s’appuyant sur des solutions originales pour faire passer du contenu sans être contraint de le faire via des panneaux de texte.
Il est ensuite revenu sur l’impact relatif sur le visiteur des diverses composantes de l’exposition. Généralement, on met le sens dans le texte avant tout, puis on illustre par des images, on entoure ensuite d’objets et pour finir on réfléchit au parcours de l’exposition. Et pourtant pour Christophe Dufour, il faut penser les choses complètement à l’inverse. La priorité c’est le parcours du visiteur dans l’exposition, puis les objets, ensuite les images et en dernier lieu le contenu texte ! Il faut donc vraiment réfléchir aux supports qui exprimeront les idées.
Christophe Dufour attache donc beaucoup d’importance à amener du sens de manière originale : agrandir (comme dans le cas de l’expo “Mouches”), accumuler, suggérer en mettant le visiteur dans un univers qui fait sens (ex : décomposition des cadavres par des mouches), symboliser (ex : diffusion du contenu sur des lits d’hôpital), questionner (ex : mettre une autruche pour illustrer la politique de l’autruche en Europe), intriguer le visiteur, présenter le texte comme un objet (ex : un grand livre), intégrer le texte à l’utilisation, utiliser un objet comme écran…
Mouches from Jonathan Gerin on Vimeo.
De plus, il a insisté sur l’importance de mettre en scène les audiovisuels : scinder un film sur plusieurs moniteurs côte à côte, scénariser l’espace (ambiance vintage, ambiance café du commerce…
Ensuite, Christophe Dufour est revenu sur la nécessité de rendre le visiteur acteur de sa découverte de l’exposition. Cela peut passer par la mise en place de dispositifs interactifs, de miroirs avec ou sans tain, de caméras filmant dans l’infrarouge, d’ateliers de mimes…
Pour finir, il a rappelé que dans une exposition, il faut un prologue : une entrée en matière, un objet d’appel, une installation… Bref un message, quelque soit sa forme, qui permette au visiteur de plonger dans l’exposition. Par exemple : un sablier géant dont le sable s’écoule doucement durant la période de présentation de l’exposition. Mais une exposition contient aussi et surtout un épilogue qu’il ne faut absolument pas omettre, àl instar de l’expo « Mouches » qui clôturait la visite par une salle de « jugement » pour décider de tuer – ou non – la pauvre mouche. Une véritable univers narratif !
Et puisqu’on parle de conclusion, quoi de mieux que de finir sur cette dernière intervention absolument passionnante ! Les professionnels sont repartis avec des idées plein la tête et de nombreuses envies de projets à construire. La suite dans un an…