Faire débattre des jeunes autour de sujets sciences-société. C’est le défi que nous a lancé le Ministère de la Recherche pour la Fête de la science 2017. Un beau challenge que certains ont déjà largement expérimenté. C’est le cas par exemple de l’association L’Arbre des connaissances, qui a développé plusieurs méthodes de débats s’appuyant sur le jeu de rôles. En tant que coordinateurs de la Fête de la science régionale, cela ne nous a pas échappé. Nous avons donc invité Camille Volovitch, membre de leur équipe, à venir former tous les acteurs motivés par ce format. Retour sur cette journée de formation bien inspirante.

Rapprocher jeunes et chercheurs grâce au débat

Jeudi 14 septembre 2017, curieux spectacle dans une salle du Quai des Savoirs… Une vingtaine de professionnels, membres d’associations de culture scientifique, chargés de projets dans des organismes de recherche, membres de MJC ou encore enseignants, se livrent à une joute verbale. Au cœur du débat, la mise sur le marché d’implants oculaires. Certains la défendent, d’autres contre-argumentent. Mais tout ceci n’est que comédie. Ce groupe s’entraine à une nouvelle forme de débat, totalement scénarisée.

Ce format, nous le devons à l’Arbre des connaissances représenté ce jour-là par Camille Volovitch. Cette association a été créée par des chercheurs en sciences biomédicales, qui souhaitaient favoriser le dialogue science-société entre chercheurs et adolescents. Leur fil rouge : les innovations technologiques et leurs impacts. Au-delà de ce dialogue, il s’agit de leur permettre de s’interroger sur ces technologies et de dépasser le simple pour ou contre.


Ces chercheurs se sont entourés d’auteurs et de gamedesigners pour concevoir des méthodologies de débats utilisant la scénarisation et le jeu. Camille nous précise que chaque scénario a demandé plus de 6 mois de conception. Le premier, sur le thème de l’Homme augmenté, repose sur un procès. Le deuxième, sur les biotechnologies, s’appuie sur une négociation entre plusieurs villages. Un troisième verra bientôt le jour sur le thème de l’intelligence artificielle.  Mais pour comprendre tout cela, rien ne vaut l’expérimentation ! Camille nous propose donc de tester le scénario sur l’Homme augmenté…

Un faux procès futuristique pour lancer un débat

Nous sommes alors projetés en 2057. Les implants oculaires DATAVIZ sont sur le point d’être commercialisés par Datavizion. La multinationale convoque la presse du monde entier pour vanter les mérites de ce produit révolutionnaire qui promet de redonner la vue aux malvoyants, de combattre Alzheimer, d’assurer une surveillance médicale… Cependant, Euroconsom, une association de consommateurs, a déposé plainte contre les implants et s’oppose à leur vente en soulignant les dérives d’un tel produit : atteinte à la vie privée, menace pour l’environnement, coût discriminatoire, etc. Le procès va ouvrir, dont l’animateur du jeu sera le juge…

Après une dizaine de minutes de présentation du jeu et de son scénario, nous formons trois groupes. L’un prépare la défense, l’autre les accusations, tandis que le dernier, qui sera le jury, prépare les questions à poser. Nous avons 30 minutes pour cela. Ce sera court ! Pour nous aider, nous disposons de fiches de jurisprudence. Quelques souvenirs de vieux cours de droit remontent à la surface… Il s’agit de délibérations de procès, sur lesquels on doit s’appuyer pour éviter des délibérations totalement discordantes. Hummm… bien complexe tout cela pour des jeunes…


Nous commençons donc par lister les points d’accusations et travailler les arguments/questions en fonction. L’accusation et la défense ont le droit de faire appel à des témoins. Nous imaginons donc des personnages, plus clichés les uns que les autres. Histoire de faire verser la petite larme au jury.  Certains de nos arguments s’appuient sur de véritables faits. D’autres, sur des histoires inventées. Le juge reste à l’écart et observe les échanges.
Il ne nous reste déjà plus que quelques minutes. Nous nous séparons les rôles et la parole. Il est temps de passer à la barre. Quelle angoisse !

C’est à l’accusation de démarrer. Dix minutes d’arguments et d’appel à témoins. Puis le jury pose des questions. Il pourra en poser autant à la défense, mais pas une de plus. C’est au tour de la défense. Évidemment, celle-ci a pu s’appuyer sur les arguments des premiers pour enrichir son discours. Les témoins s’enchainent : l’employé déçu, la vieille aveugle bien heureuse de voir pour la première fois ses petits enfants, la responsable du labo qui croit dur comme fer au progrès… De quoi nous extirper pas mal de fous rires. Le juge a pour rôle de recadrer le débat si nécessaire et de statuer si l’argument est trop farfelu. Je m’interroge tout de même sur l’équilibre « arguments s’appuyant de véritables informations » et « arguments s’appuyant sur de la fiction ». Car nous pourrions vite aboutir à des échanges du type « Ce témoin ment car il est sous cachet », et là, il n’y a plus vraiment de débat intéressant.

Le jury prend ensuite quelques minutes à l’écart pour statuer. Le verdict est tranché : l’accusation obtient gain de cause.


Le bilan de tout cela : un exercice vraiment drôle, enrichissant, mais extrêmement compliqué ! Construire un argumentaire sur un sujet aussi complexe, prendre la parole, jouer un rôle, comprendre le fonctionnement d’un procès… On pense tout de suite à nos petits jeunes qui vont devoir faire ça. Camille nous rassure : ils y arrivent. Sans doute avec des arguments moins poussés, mais tout aussi intéressants.

Jusqu’ici cette méthodologie a surtout été testée par des enseignants en SVT et français ainsi que des documentalistes, dans des classes de seconde. D’autres exploitations ont été faites, notamment dans le cadre de programmation autour d’un film ou d’une exposition.

Camille nous propose alors un petit exercice à faire après le débat : lister d’un côté les arguments de l’accusation, et de l’autre de la défense, puis compléter tous ensemble ce qui a été dit. Nous évoquons les problèmes de protections de la vie privée du patient mais aussi de ses proches, l’impact de l’humain augmenté, ou disons plutôt « réparé », etc. Et là, on observe une prolongation du débat, malgré la fin du jeu de rôles. Passionnant !


Puis nous échangeons ensemble quelques idées pour animer ce débat, parmi lesquelles :

  • Organiser une séance en amont du débat, pour préparer le sujet avec les élèves. Par exemple en les interrogeant sur leur conception de l’humain augmenté. Chacun noterait des idées au tableau.
  • Plutôt que de lire à voix haute le scénario, réaliser de petites vidéos pour immerger les élèves dans l’histoire.
  • Désigner rapidement celui qui prendra la parole.
  • Proposer des fiches « personnages témoins » aiguillant les élèves pour construire leur argumentaire. Voire même les imposer à plusieurs d’entre eux. Cela pourrait se faire par binôme, pour éviter de mettre les plus timides mal à l’aise.
  • Si la classe est très chargée, créer un 4e groupe d’élèves, qui seront les journalistes ayant pour rôle de garder une trace du procès.
  • Des accessoires pourraient être mis à disposition pour aider les participants à se glisser dans le rôle.

Les nouveaux formats de débats

De retour du déjeuner, nous prenons de la hauteur pour revoir ensemble les objectifs d’un tel débat : intéresser les jeunes à un sujet scientifique, leur apprendre à construire un argumentaire, développer leur esprit critique, apprendre à s’exprimer et à écouter, distinguer l’avis de l’argument ou bien se sentir acteur de notre société. Aucun doute, ce format permet tout cela à la fois.


Nous évoquons d’autres idées : des jeunes animateurs d’un débat entre chercheurs, des jeunes débattant pour défendre telle ou telle théorie scientifique…

La discussion se poursuit par l’échange sur les expériences de chacun. Et notamment, une problématique commune : jusqu’où laisser aller le débat ? Que faire lorsque certains arguments s’appuient sur la religion ou sur des idéologies ?
Une problématique qu’a souvent rencontrée l’équipe de Carrefour des sciences et des Arts, en organisant des débats autour de l’exposition « Sommes-nous tous de la même famille ? ». Cela me rappelle aussi une expérience contée par un membre de Cap sciences : un jeu de rôles autour des stéréotypes de sexe. La classe joue un conseil d’administration d’une grande entreprise qui doit choisir de faire monter en grade un employé. Devant eux, deux CV : celui d’une femme et d’un homme. Les échanges commencent, chacun avançant un argument pour l’un pour l’autre, tandis que l’animateur, jouant le chef d’entreprise, ne manque pas de lancer quelques pics sexistes pour faire réagir. Le débat étant évidemment suivi d’un bilan avec l’animateur qui révèle les propos discriminatoires entendus.

Nous évoquons aussi les débats mouvants, permettant de jouer avec l’espace : d’un coté de la salle, les personnes en accord avec une question, de l’autre ceux qui sont contre. Chacun peut argumenter, et se déplacer dans l’espace au fur et à mesure qu’il change d’avis. Les membres du Syded du Lot l’ont justement testé, en invitant des élèves à se positionner sur la question « faites-vous du gaspillage alimentaire chez vous ? ».


Léna de Science Animation partage également une expérience de débat assez proche de notre procès : la reproduction d’un débat télévisé. Au centre, quatre personnes, l’une « pour », l’autre « contre », la troisième « neutre » ayant pour rôle de modérer les échanges et la dernière jouant le journaliste qui relance le débat si nécessaire. Autour d’eux, le public. Du côté de l’association Kimiyo, ils proposent au public de tirer au sort des questions ou positionnements. Une manière d’éviter la peur du jugement des autres puisque le positionnement de chacun est imposé.

Autre format : le théâtre forum. Un public assiste à une pièce de théâtre jouant un débat. Puis la pièce est jouée une nouvelle fois, mais cette fois-ci, toute personne du public peut venir prendre la place d’un comédien et faire ainsi évoluer la scène en argumentant d’une tout autre manière.

Camille nous présente enfin leur dernier jeu sur la biologie de synthèse, c’est à la dire la biologie visant à créer ou transformer des molécules. Un débat proche de ceux autour des OGMs. Le scénario : cinq villages interdépendants doivent débattre pour savoir si, oui ou non, ils doivent adopter certaines innovations. Évidemment, elles ne sont pas sans conséquence (bonnes ou mauvaises). Le débat fonctionne comme un jeu classique, avec des tours, des points à gagner, des aléas… La gamification y est beaucoup plus poussée que dans le premier scénario.


Cela me rappelle également le format organisé par Science Po, qui propose à ses étudiants de constituer des groupes, représentant chacun un pays, et de reproduire le débat de la COP21. Pour cela, ils ont toute une nuit pour préparer leur argumentaire.

Plusieurs bons conseils pour tout animateur de débat émergent de ces échanges :

  • D’être vigilant à éviter tout échange qui se résume à « ton argument ne vaut rien ! »
  • Trouver en amont du débat les lignes de tension qui permettront de relancer la discussion ou d’anticiper certains écarts.
  • Ne pas avoir peur de limiter le temps de débat. C’est un conseil du gamedesigner de l’Arbre des connaissances : un temps restreint est un ressort ludique qui crée la frustration et conserve le plaisir.

S’appuyer sur des ressources pour préparer le débat

Nous terminons la journée en évoquant la préparation du débat.

L’Arbre des connaissances met à disposition sur son site de nombreuses ressources en lien avec les scénarios, et classées par positionnement, afin de permettre aux élèves de se documenter en amont.

Il est également possible de faire travailler sur élèves par petits groupes sur des sources particulières, ayant chacune un point de vue différent : celui d’un média, celui d’un expert, celui d’un militant… Les groupes échangent ensuite sur ces différents positionnements. Ce travail peut être complété grâce aux ressources de Canopé “Développer l’esprit critique“.

Camille nous a fait tester une autre forme de préparation : un petit jeu autour des innovations. Au tableau, on dessine un axe allant de « Possible » à « Impossible ». Puis on propose aux élèves d’y placer différentes technologies de demain : vêtements connectés, humains clonés, JO d’humains augmentés… Puis l’axe est transformé : on remplace « Possible » par « Souhaitable » et « Impossible » par « Non souhaitable ». On déplace alors les innovations, révélant aux jeunes les limites que l’on s’impose.


Un projet dans les cartons pour la Fête de la science 2017

Une bien belle journée qui promet de beaux projets… Et c’est justement ce sur quoi nous nous attelons maintenant à Science Animation : reproduire ce scénario autour de l’humain augmenté avec une classe de lycéens. Petit défi néanmoins : y ajouter un lien avec les gestes de demain, dans le cadre de l’exposition Gestes parlants, et impliquer une équipe de journalistes de La Dépêche du midi qui s’est lancée dans l’aventure avec nous.

La suite au prochain épisode…

Illustration : Carrefour des Citoyens de Robion