Des notions scientifiques transformées en énigmes
Depuis quelques mois, des enseignants de l’Insa de Toulouse ont pour projet de développer une escape room au sein de l’établissement. L’occasion de proposer à une quinzaine d’élèves d’en concevoir les énigmes via un module d’ouverture. Toujours partants pour les projets innovants, Science Animation et le Catalyseur se sont portés volontaires pour participer au challenge en donnant un coup de pouce aux élèves afin d’imaginer des énigmes.
Un escape game à l’Insa
L’idée derrière Insc@pe (nom temporaire du projet) ? Enrichir la communication de l’école auprès des futurs étudiants, notamment lors des visites des lycées ou des journées portes-ouvertes. La participation au jeu permettra de montrer ce qui se fait à l’Insa tout en laissant un souvenir marquant. Et pour bien faire, il faudra que l’escape game soit à l’image de l’école : d’une part que les énigmes fassent échos à plusieurs notions abordées en classe, et d’autre part que la conception technique des énigmes requiert les compétences d’ingénieur en herbe.
Mené par une poignée d’enseignants bourrés d’idées, ce projet est en collaboration avec une classe de l’Institut supérieur Couleur Image Design (ISCID) de Montauban dont une classe a été sollicitée pour imaginer l’univers et le scénario du jeu.
La naissance d’un nouveau “Module d’Ouverture”
Comme chaque année à l’Insa, les élèves de Licence 2 et Licence 3 ont l’opportunité de participer à un module d’ouverture. Entre “Cours d’éthique”, “Cryptographie”, “Photographie”, “Concours femmes et science” … figurait la proposition “Création d’une escape room”. Et, nous avons eu l’honneur d’intervenir dans ce dernier auprès de 16 étudiants toutes filières confondues : génie mécanique, mathématique, chimie … Une contrainte qui, on l’espère, offrira des regards différents sur la conception et rendra d’autant plus intéressant le travail collectif. Car rappelons-le, les énigmes devront intégrer des notions scientifiques acquises à l’Insa.
Le module sera composé de 12 séances de 3h. Et pour encadrer le module d’ouverture, l’équipe enseignante n’a pas hésité à s’entourer de plusieurs profils.
L’ISCID pour designer l’univers et scénographier les espaces.
L’Agence Explora pour donner des conseils généraux sur la création d’escape game.
Fabric’Insa mettra à disposition les outils du Fab Lab pour le prototypage.
Nous pour aider à imaginer des énigmes incluant une notion scientifique.
Et, bien sûr, les enseignants pour accompagner, évaluer et apporter un oeil expert sur l’élaboration des énigmes.
Commençons donc par une première rencontre rassemblant tout le monde. Lors de cette première séance, Mathilde et Valérian, créateurs de l’Agence Explora, ont apporté de précieux conseils sur la création générale d’une escape room. Comment construire un scénario accrocheur, les erreurs à ne pas commettre, des exemples d’énigmes, des astuces, etc. Un état des lieux hyper complet dont nous n’avons pas perdu une miette !
Le projet est présenté, les objectifs sont donnés. Dès les semaines suivantes, on embrayera sur la partie créative.
Séance 1 : Réaliser un panorama d’exemples d’énigmes. Une banque d’idées dans laquelle piocher par la suite. Les élèves choisiront également durant cette séance 2 notions acquises en L1, qu’ils devront transformer en énigmes.
Séance 2 : Faire émerger de nombreuses idées d’énigmes à partir des 2 notions.
Séance 3 : Travail sur la fiche technique des énigmes et prototypage papier.
Mais avant toute chose : qu’entend-on par escape game “pédagogique” ?
Plutôt que de démarrer directement sur des méthodes de créativités, nous avons vu l’occasion de proposer une présentation détaillée sur la création d’escape games pédagogiques. Il est vrai que cette dernière année a été pour nous riche en rencontres, réflexions et expérimentations autour de cette thématique. Alors, Audrey ne résiste pas à l’envie de soumettre une sorte de grand récapitulatif de toutes les observations, de nombreuses recommandations que nous avons récoltées et notre petite expérience dans le domaine.
C’est le moment d’insister sur l’aspect “pédagogique” dans un escape game. Ce qui peut être évident pour certains ne l’est certainement pas pour les étudiants. Nous expliquons que si ce type de jeu ne sert pas à apprendre, il constitue par contre un outil intéressant pour susciter l’intérêt, voir un levier pour se remémorer des souvenirs lointains de cours par exemple. Les notions scientifiques pourront être découvertes ou testées par les joueurs pendant le jeu. Néanmoins, elles ne seront conscientisées qu’au moment du débriefing, quand le maître du jeu reviendra dessus.
On distingue alors deux façons d’intégrer un message pédagogique dans une énigme :
> Soit le sujet est intégré dans le décor, les joueurs interagissent avec, mais n’ont pas forcément besoin de comprendre le message pour résoudre l’énigme.
Exemple : Une formule chimique est inscrite au tableau. Quand on l’efface, seuls quelques éléments restent affichés et donnent un code.
> Soit l’expérience pédagogique doit être pratiquée/expérimentée pour résoudre l’énigme.
Exemple :Une formule chimique est inscrite au tableau. Mais un élément est erroné. Il faut la corriger pour trouver le bon code.
Attention : cela nécessite un document donnant des indications pour corriger la formule.
A travers la présentation allant de la rédaction du scénario à la création de l’immersion, nous tentons d’être exhaustifs pour que tous, même ceux qui n’ont jamais fait d’escape game, puissent comprendre les tenants et aboutissants. A quoi sert le maître du jeu ? Où peut-on intégrer des énigmes ? Quels sont les types d’énigmes ? Sur quoi débouche une énigme ? Qu’est-ce qu’un parcours avec imbrication ?…
A quoi pourrait ressembler l’escape game de l’Insa ?
Désormais, il est temps d’entrer dans le vif du sujet. On enchaîne avec les prémisses de l’escape room imaginées par les élèves de l’ISCID. Un scénario qui reste à peaufiner mais qui nous a tout de suite plu !
Une mystérieuse maladie est en train de se répandre sur la planète. L’une de vos collègues, une enseignante-chercheure de l’Insa, travaille sans relâche pour trouver un remède car sa petite-fille est atteinte. Elle y passe des jours sans quasiment dormir.
Un soir, elle vous envoie un texto en disant qu’elle a enfin une piste sérieuse… Le lendemain matin, vous apprenez qu’un accident a eu lieu dans la nuit, a priori votre collègue s’est endormi et une expérience en cours a provoqué un début d’incendie. Votre collègue est dans le coma et ses recherches sont détruites.
Désespérés, vous décidez d’utiliser pour la première fois une machine développée dans votre labo permettant d’explorer les souvenirs d’une personne. Vous allez entrer dans sa tête et tenter de retrouver le souvenir où elle a imaginé le remède. Mais attention, son état général se dégrade très vite et les médecins lui donnent 1h. Si elle décède, tout disparaîtra, et vous avec… Car ce voyage au fin fond du cerveau n’est pas sans risque…
Franchement, ça donne envie non ?
L’escape room serait donc composée de trois espaces, représentant en quelque sorte la mémoire et l’imaginaire de la chercheuse. Il y aurait une sorte de grenier accumulant les souvenirs, un sas de transition, et un laboratoire représentant le souvenir lors duquel elle a trouvé le remède. Evidemment, on espère que le tout pourra être agrémenté d’installations saugrenues, faisant référence aux souvenirs et au voyage dans le cerveau.
Des méthodes créatives pour imaginer les énigmes
Une fois le scénario et les bases de l’escape game pédagogique présentés, nous démarrons les hostilités créatives !
On demande à chacun de se créer son propre badge avec ses compétences, puis on désigne un facilitateur et un rapporteur dans chaque groupe.
Après les avoir divisés en quatre groupes, nous les invitons à brainstormer chacun sur un aspect de l’escape game :
- Table 1 – Sens et émotions : Donnez des idées d’énigmes/défis. Attention, il faut balayer toutes les émotions et tous les sens !
Exemple : une matière dégoûtante à toucher pour attraper une clé dedans. - Table 2 – Waouh effect : Donnez des idées d’énigmes/défis “magiques” et des cachettes inattendues.
Exemple : un objet à faire bouger grâce à un aimant. - Table 3 – Univers : Listez tout ce qui pourrait se trouver dans 1) un grenier rempli de souvenirs 2) un laboratoire de recherche de l’Insa 3) le sas. Et notez des idées d’énigmes en lien.
Exemple : un ours en peluche, dans lequel serait caché un élément. - Table 4 – Scénario : Repartez du scénario pour lister des actions scénaristiques. Et notez des idées d’énigmes en lien.
Exemple : Les joueurs trouvent le bon souvenir dans la salle 1 avant d’être projetés dans le sas.
Il faut tout noter, organiser les idées puis, à la manière d’un world café, les participants tournent au bout de 15 minutes sur les autres tables pour compléter les propositions. Pour les aider, des “cartes inspirations” sont posées sur la table : “Et si l’énigme/le défi… créait la suspicion entre les joueurs”, “Et si l’énigme/le défi… épuisait”, “Et si l’énigme/le défi… Nécessitait d’utiliser uniquement ses pieds”, “Et si l’énigme/le défi/le décor… Faisait de la musique”, “Et si l’énigme/le défi/le décor… Mettait tout à l’envers”, “Et si l’énigme/le défi/le décor… Devenait invisible”…
Puis vient la mise en commun
Des idées très originales en ressortent. “Pourquoi ne pas mettre l’un des joueurs en quarantaine ?” “Et si des casques à oxygène tombaient du plafond dans un moment de crise ?” “On pourrait aussi faire émaner une odeur de soufre !“…
Les idées fusent, ce qui constituera un bac à sable d’idées bien utiles pour la suite. En fin de journée, les élèves prennent 15 minutes pour réfléchir à quelques notions scientifiques qu’il ont pu voir en cours de L1 ou L2. Par exemple la résolution de matrices en mathématiques, la loi des noeuds en électronique ou encore le dosage par colorimétrie en chimie.
Jusque là, l’exercice était plutôt aisé. Mais la suite se corse un peu. En effet, lors de la seconde séance, nous nous retrouvons pour imaginer une énigme à partir de chaque notion. C’est reparti pour un brainstorming, en binôme d’abord. Et pour les aider à ne pas tomber dans des choses trop classiques, voire très scolaires, nous leur proposons de remplir un tableau original, sorte de “portrait chinois” de leur notion, histoire de les faire un peu sortir du cadre.
Cette gymnastique mentale force à déformer nos représentations pour imaginer d’autres ressorts.
Après avoir complété au mieux le tableau, des idées d’énigme commencent à émerger.
Nous profitons des vacances avant la dernière séance pour organiser une visite de l’exposition Luminopolis. Une exposition sur le thème de la lumière et créée en mode escape game. Bon nombre de dispositifs illustrent bien la manière dont on peut transformer une notion scientifique en énigme.
La dernière séance est la phase de concrétisation
L’équipe enseignante est au complet pour vérifier et valider les notions scientifiques exploitées. En effet, il ne faudrait pas que l’énigme divulgue un faux message ou qu’elle soit irréalisable à cause d’un détail technique omis par les élèves. Après avoir fait le tour de chaque énigme, on les accompagne dans le prototypage papier et les conseils pour peaufiner leurs concepts. Ces protos papier permettront de présenter leur idée à leurs enseignants à la séance suivante, en faisant une démonstration du mécanisme imaginé.
Ils vont d’ailleurs devoir remplir une fiche très détaillée pour décrire et anticiper les différents aspects de leur énigme. Quel est le matériel de déploiement ? Y a-t-il des contraintes particulières d’installation (sortie d’eau, prise électrique, précautions d’emploi…) ? Peut-on décliner l’énigme en plusieurs niveaux ? Faut-il envisager une reconfiguration à distance ? Quelle est la procédure de réinitialisation ? Comment vérifier que l’énigme fonctionne comme prévu ?… Des tas de précisions qu’on oublie parfois d’anticiper durant la conception.
Il reste maintenant le plus gros du travail : la phase de fabrication, de test et d’optimisation.
Je vous invite à nous retrouver dans quelque mois pour voir comment les choses ont évolué.
A suivre…